Header 2016_819

« J’ai toujours été un inconditionnel de Gina »

Dans les prisons, le papier a encore toute sa place, et l’établissement pénitentiaire de Hindelbank ne fait pas exception. La situation est toutefois en train de changer, car dans cette prison pour femmes, trois personnes œuvrent à la dématérialisation des processus : René Dasen (chef de la sécurité), Philipp Furrer (spécialiste du domaine de la numérisation) et Rebecca Scholl (cheffe de section). Actuellement, tous trois travaillent sur les processus concernant les analyses d’urine. Mais pourquoi donc faudra-t-il encore attendre des mois pour que ce processus se fasse entièrement de façon électronique ? Nous avons mené l’enquête.

Nous sommes reçus au portail de l’établissement par René Dasen, responsable Sécurité et protection à Hindelbank. Sur le chemin qui nous mène au bâtiment administratif, nous rencontrons deux détenues, dont l’une porte des lunettes de soleil rose bonbon très flashy. René Dasen lui adresse quelques mots qui la font rire. L’administration est logée dans un château du XVIIIe siècle, au cœur du seul établissement pénitentiaire pour femmes de Suisse alémanique, qui accueille actuellement 107 détenues.

Dasen 1727_970

« Je connais très bien Gina, car j’ai été associé à la conception d’une bonne partie des processus appliqués aujourd’hui. J’en ai toujours été un inconditionnel, », expliquepréciseexplique-t-il. Ce logiciel gère notamment l’administration des clientes, le journal, les mesures d’exécution, les données sur la santé et l’évolution des personnes ainsi que la planification du travail. À l’arrivée d’une nouvelle détenue, par exemple, un plan d’exécution individuel comprenant des objectifs est établi en fonction du délit qu’elle a commis et de son passé, et inséré dans Gina. 

Plus d’infos sur l’exécution des peines (Gina)

Éliminer les dossiers sur papier

À Hindelbank, de nombreux processus sont encore consignés sur papier et la numérisation se déroule sur deux systèmes différents (Gina et Gever), ce qui complique la tâche du personnel. L’institution s’est fixé comme objectif de dématérialiser d’ici la fin 2024 toutes les données concernant les détenues et de les regrouper dans un seul système, Gina. 

Depuis le début 2024, c’est Philipp Furrer qui se charge de la numérisation de l’exploitation. Âgé de 47 ans, il est responsable de toutes les applications utilisées au quotidien à Hindelbank, sa mission consistant à accompagner les collaboratrices et collaborateurs dans cette démarche. « Pour une bonne partie des membres du personnel, le travail sur ordinateur n’est qu’une tâche parmi d’autres. Mon rôle est de les soutenir », explique-t-il.  

La troisième figure de la numérisation à Hindelbank s’appelle Rebecca Scholl. La chef de la section Exécution des peines, âgée de 36 ans, dirige avec son équipe le projet pilote E-Dossier, le dossier numérique des détenues dans Gina. Depuis le début 2024, elle a numérisé tous les documents physiques de sa section, éliminant ainsi les dossiers sur papier. D’ici à l’été 2024, le projet pilote devra permettre d’identifier tant les procédures bien rodées que les aspects perfectibles de ce nouveau dossier électronique. Ensuite, E-Dossier sera mis en place dans toute l’administration d’Hindelbank. L’institution pourra ainsi renoncer aux archives sur papier.

Dasen Furrer Scholl 1727_970

Les trois visages de la numérisation à Hindelbank, de g. à d. : Philipp Furrer, René Dasen et Rebecca Scholl.

Passer à un seul système

« Je n’ai pas toujours apprécié Gina par le passé, mais je constate ces derniers temps que ce logiciel se développe : les choses se mettent en place sur le plan opérationnel, ce que nous appelions depuis longtemps de nos vœux », concède René Dasen. La pandémie a ici aussi accéléré la dématérialisation et Gina a bénéficié de ressources supplémentaires : « Auparavant, nous développions Gina en marge de notre travail. Depuis 2023, des spécialistes sont à l’œuvre, nous avons professionnalisé la démarche, et les résultats sont au rendez-vous », résume René.

Gina est déployé dans tous les établissements pénitentiaires du canton de Berne. Les responsables de son application dans chacune de ces institutions, comme Philipp Furrer à Hindelbank, se réunissent une fois par mois pour aborder les problématiques communes. Le logiciel Gina étant utilisé dans 16 cantons suisses, il doit en effet répondre aux besoins de nombreux partenaires.

« Je n’ai pas toujours apprécié Gina par le passé, mais je constate ces derniers temps que ce logiciel se développe : les choses se mettent en place sur le plan opérationnel, ce que nous appelions depuis longtemps de nos vœux ».

René Dasen

Responsable Sécurité et protection à Hindelbank

Analyses d’urine

Le traitement administratif des analyses d’urine est l’un des processus en cours de dématérialisation. Actuellement, la section prélève l’échantillon et l’apporte à la réception avec un formulaire. Le laboratoire de l’établissement analyse l’échantillon et inscrit le résultat sur le formulaire avant de le renvoyer à la section, qui annonce le résultat à la détenue. La section envoie ensuite un courriel à l’équipe de René Dasen. Si le test est positif aux opiacés, à la cocaïne, au cannabis ou à la créatinine, la direction de la section entre en jeu et ouvre une procédure disciplinaire. Le formulaire fait ainsi trois allers-retours. « Je préfèrerais que la section prélève l’échantillon, consigne ce prélèvement dans Gina et délègue le processus à notre laboratoire. Ce dernier enregistrerait alors le résultat directement dans Gina, avant de confier à nouveau le processus à la section, qui se chargerait de communiquer le résultat », explique René Dasen.

Pour mettre au point le processus numérique donnant suite au prélèvement d’urine, René Dasen et Philipp Furrer ont dû constamment veiller à concevoir des solutions répondant aux besoins des autres établissements pénitentiaires également. « Cette exigence a rendu notre travail laborieux et complexe. Pour les analyses d’urine, nous avons cherché dans Gina un processus qui pourrait nous servir de référence. Selon la fonction à numériser, la mise en œuvre d’un processus peut prendre d’un à deux ans », explique René Dasen. Les deux forment une bonne équipe : René Dasen apporte ses connaissances d’utilisateur de Gina et Philipp Furrer son bagage technique. « Nous travaillons bien ensemble. J’aime bricoler de nouveaux processus et peux tirer parti des connaissances pointues de Philipp », précise René Dasen.

Esel Gina 1200_970-1
L’ânesse à droite sur la photo a été baptisée Gina, car elle est née peu de temps avant le déploiement de son homonyme.
Hauptgebäude 1200_970-2
À Hindelbank, une centaine d’employées et employés travaillent dans l’une des cinq sections : exécution de peines, exécution de mesures, travail et formation, services centraux et sécurité.
Zellengang 1200_970-2
La section d’exécution des mesures dirigée par Rebecca Scholl accueille 17 femmes.
Zelle Bett 1200_791-2

Les infractions les plus courantes à Hindelbank : 32 infractions à la loi sur les stupéfiants
28 homicides
24 abus de confiance et vol

Zelle Tisch 1200_970-1
L’établissement d’Hindelbank accueille des femmes provenant de 25 pays environ.

Des besoins différents en matière de numérisation

Nous accompagnons Rebecca Scholl, à Hindelbank depuis cinq ans, dans la section qu’elle dirige. Les détenues sont à la pause, assises à l’extérieur au soleil encore timide. Dans la section, la table est décorée pour Pâques. Rebecca Scholl nous explique que les femmes ne constituent que 6 % de la population carcérale de Suisse : « Puisque nous sommes le seul établissement pénitentiaire pour femmes de Suisse alémanique, toutes les modalités ont lieu chez nous, de l’exécution en milieu ouvert à l’exécution en milieu fermé ». Les détenues au bénéfice d’un régime d’exécution en milieu ouvert peuvent retourner chez elles lors de certains week-ends ou concevoir elles-mêmes leur programme, tandis que les femmes incarcérées en milieu fermé n’ont pas ces libertés, ou seulement dans une moindre mesure. « Cela crée régulièrement des tensions parmi les femmes de la section : réunir toutes les modalités d’exécution judiciaire sous un même toit pose constamment des difficultés », ajoute Rebecca Scholl. 

Sa section accueille notamment des femmes ayant commis une infraction en raison d’un grave trouble psychique. Pour certaines d’entre elles, son équipe commence très tôt à planifier la sortie, alors que, pour d’autres, il est difficile de prévoir quand elles pourront quitter Hindelbank. « Nous travaillons avec des dossiers individuels sur papier. Nous nous sommes bien organisées, en fonction des processus existants. Dans les sections, le fait de ne pas encore être passé au tout numérique n’est pas si grave », ajoute Rebecca Scholl. Sa section n’a en effet pas grand-chose à faire avec les processus de gestion des flux de travail et s’occupe davantage de mesures disciplinaires, même si celles-ci restent rares. 

Rebecca Scholl hoch_620_844-1

« Notre priorité va clairement à la gestion de cas numérique, c’est-à-dire à l’établissement de dossiers individuels numériques complets et maîtrisables. »

Rebecca Scholl

Chef de la section Exécution des peines, Hindelbank

La dématérialisation, source de travail supplémentaire

dasen 620_844

 

Il en va tout autrement pour René Dasen : « Nous organisons un grand nombre de transports, entrées, sorties, visites et contrôles, et ce sont à chaque fois des processus qui impliquent différents départements. Nous travaillons ainsi presque exclusivement avec des processus, tandis que les sections utilisent presque toutes sans exception les dossiers papier des détenues », commente René Dasen. « Dans ma section, celle de la Sécurité et de la protection, les processus de Gina sont bien rodés ; j’aimerais avoir davantage de processus à ma disposition et ne plus devoir faire circuler de formulaires sur papier. »

Auparavant, René Dasen devait se rendre à Hindelbank pour chaque mesure disciplinaire. « Aujourd’hui, je peux lancer la procédure depuis chez moi et la déléguer à un employé ou une employée qui la communique à la détenue et me la renvoie ; je peux ensuite la poursuivre à mon domicile », ajoute René Dasen. 

René Dasen, Philipp Furrer et Rebecca Scholl n’en doutent pas : passer à un seul système allégerait le travail de l’ensemble du personnel, même si de gros efforts devront encore être consentis pour y parvenir. « Les nouvelles personnes que je forme doivent toujours apprendre à utiliser plusieurs systèmes informatiques et il leur faut un certain temps pour se familiariser avec l’ensemble de ces programmes », reconnaît René Dasen. Ses dernières recrues ont toutes plus de 50 ans : « Je dois les motiver et les accompagner dans la démarche de numérisation, dissiper leurs angoisses, les soutenir et les aider à résoudre les problèmes. Cela demande du temps, une présence et un effort de formation. Donner des ordres ne suffit pas », explique-t-il.

À Hindelbank, la dématérialisation ne s’est pas encore traduite par une diminution de la charge de travail : « Jusqu’à présent, elle a plutôt alourdi cette charge, mais nos tâches s’en retrouveront bientôt allégées, nos collaborateurs et collaboratrices s’en aperçoivent déjà dans certains domaines », se réjouit René Dasen. L’alarme sonne soudain sur plusieurs téléphones de la réception : un employé de la comptabilité a involontairement appuyé sur le bouton d’alarme. « Pour travailler ici, il faut aimer gérer les crises. Et l’expérience aide à garder son sang-froid. Voilà pourquoi mon équipe compte plusieurs membres d’un certain âge. Ils n’ont toutefois pas grandi dans un univers numérisé et doivent bénéficier d’un bon accompagnement pour y être à l’aise », conclut René Dasen.